Une présence sans dogme


Les sculptures de Vincent Péraro convoquent l'espace, elles induisent un parcours tant pour le spectateur que pour elles-mêmes. Elles jouent de l'espace par leur translucidité. Chacune est une note pour une partition de l'espace. Chaque note se singularise ou se dissout et peut aller jusqu'à sa propre extinction.
« la litre pour YS », réalisée récemment, énonce de par son titre la disparition (autrefois, bande noire posée ou peinte à l'intérieur et parfois même à l'extérieur d'une église ou du bâtiment religieux pour honorer un défunt). Ici, il est question aussi d'une ligne qui se déploie, s'enroule, se plie, s'affaisse dans une extrème douceur. Un corps est soutenu et déposé au sol. Face à cette déposition, une présence se manifeste comme un écran. Une peinture qui fait front. Une avancée sur le sol indique une profondeur. Deux  verticales se révèlent avec leurs angles affirmés. Parties « charnues » qui portent les ailes... Dans le déplacement le noir s'intensifie et se lisse au parcours bien défini. À la lumière, la dorure révèle dans son miroitement, une profondeur. Une profondeur ressentie, l'oeil ne peut la toucher même s'il va loin dans cette traversée. La courbe retenue par les deux plans affleure ces derniers telle une draperie convexe. Ce qui suspend la sculpture: une arme de jet. Dessin précis, courbes tranchantes, lignes composées de deux lettres qui créent l'armoirie de la vie intense de cette litre.
Une surface: « Ecran » de plus petite dimension crée la coexistence du proche et du lointain. Un rectangle se dessine. Cette dissolution dans l'espace est structurée par l'envers. Ce dépôt léger, un repliement, façonné par des gestes amoureux, contient le sol. Cette sculpture,  nous donne une position dominante. Elle offre dans sa brèche, l'espace en son entier qui nous surplombe.
« Blank » nous signale dans son accès une ligne d'horizon. Dès notre approche, la sculpture s'ouvre avec l'arc et se ferme avec l'horizon. La translucidité bleutée exacerbe sa sensibilité à la lumière ainsi qu'à son entourage. L'arc est retenu et maintenu par la ligne d'horizon précédente. Cette ligne se découvre maintenant courbe. Une droite, un pan traverse cette sculpture. Cette diagonale est constituée d'une cloison de polycarbonate. Cette violence tranche l'arc qui est tendu comme une peau. Cet élément industriel, qui s'incorpore dans cet ensemble, le détruit et  paradoxalement: l'accorde. La ligne d'horizon disparue, nous perdons les repères de cette sculpture. Seuls les délinéaments de plis, débords et découpes maintiennent notre vision et rendent la sculpture présente. Ces tracés nous font redécouvrir toute l'exposition par les dessins affirmés. Un nouveau paysage se crée.
Une enveloppe structurée annonce la parole retenue. Intitulée « en défense », elle respire en silence. Sa présence rouge est habitable sans donnée extérieure. Seuls les reflets, accusent la chaleur de la proposition. La cavité interne qui se forme, ouvre le sol et laisse le souffle envelopper l'ensemble de la partition. Dans son mouvement les lignes écrites réenchantent l'espace et une nouvelle proposition a lieu.
En 2007, à l'Artboretum, Vincent Péraro présentait des formes nées du plein du plâtre. De loin elles étaient pleines et de près vides. Mais ce vide était et reste habité. Des silences nécéssaires aux multiples lectures.  Ces « cuvettes » d'une peau très fine, contiennent l'espace ou le font surgir. Cri qui jaillit de la poitrine. La peau quant à elle est lisse à l'extérieur et fibrée à l'intérieur ou inversement. Vides intérieurs dans des corps, concavités, creusets pour  recevoir... pour un mélange des corps.... Vides dévoilés, suggérés de l'espace où l'oeil se recueille et replonge.  
« Partita » réalisée en 2009, de dimensions importantes, offre une interrogation. Les panneaux de polycarbonate enveloppent la sculpture. Faux parallèlipipède rectangle, ses faces sensibles à  leur milieu, révèlent la peau contenue, font entrevoir ce qui nait, ce qui sans cesse disparaît. Flux et reflux: ces mots sont énoncés dans les deux ouvertures. D'un côté des rythmes de plans comme des vagues qui vous recouvrent ou vous renvoient. De l'autre, ces rythmes accusent la profondeur, le passage. Le dernier plan se plie et se retourne comme une lame à hauteur de la cheville. Plus d'espace à mesurer: on entend la rythmique de l'oeuvre. Cette sculpture semble contenir ce qui émerge. Une masse de plomb quand la lumière est faible qui, à la clarté revenue, exalte l'accessibilité de l'architecture. Chaque définition, chaque lueur, nitescence, éclat, révèle une présence intérieure, quelque chose qui vibre. Une ouverture tranchée, plis d'un rideau, nous offre la scène où le plafond rythmé de portées, suggère l'accessibilité. La lumière établit le contact entre l'intérieur et l'extérieur. Un émerveillement, une découverte évoquent; la lecture de Jules Verne, la projection d' un film de Méliés de notre enfance. L'oeil est ouvert. Expérience vive du temps, qui est éminemment, vivante et vivant.
Le sens du lieu, le sentiment d'être là s'impose dans tous ces cheminements. Une réunion du coeur et de l'esprit opère. Vincent Péraro réunit tendresse irrépressible et limpidité de ce qui s'énonce. Ces sculptures ne sont pas séparées. Elles sont issues d'une même substance. Elle leur donne naissance. Elle constitue l'espace de leurs séparations.
Vincent Péraro n'a pas dessiné quelques figures au hasard. Il n'a aucun dessin préparatoire, aucune esquisse. Dans la blancheur du plâtre, du silence, au présent et à l'œuvre, convoquant l'espace, il érige avec netteté  ces lignes vitales qui font la part belle au son.
 « Angles déposés », un bloc d'une évidence est posé sur le sol. Un pan légèrement courbe, coupé, plié offre un abri... un recueillement. Ce bloc-corps semble issu de la découpe, à fleur de plâtre, de la plaque originelle.

 


                                                           
                                                                                                                        Jacques Victor Giraud